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christophe guilluy - Page 4

  • On ne débat plus, on exécute !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de la démographe Michèle Tribalat, cueilli sur son site personnel et consacré aux procès en légitimité faits par l'intelligentsia progressiste à deux auteurs qui dérangent, Stephen Smith, auteur de La ruée vers l'Europe (Grasset, 2018) et Christophe Guilluy, qui vient de publier No society (Flammarion, 2018).

    Ancienne directrice de recherche à l’INED (Institut national des études démographiques), Michèle Tribalat a été membre du Haut Conseil à l’Intégration et a publié plusieurs livres remarqués dont Les Yeux grands fermés (Denoël, 2009) et Assimilation : la fin du modèle français (Toucan, 2013).

     

     

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    On ne débat plus, on exécute

    Une constante des liquidations professionnelles en sciences sociales est le mélange d’attaques personnelles – on s’en prend à l’auteur, on se livre à une analyse psychologique et idéologique de l’auteur, de son passé, de penchants politiques dont il n’est pas forcement conscient lui-même – et de critiques qui, pour être percutantes, nécessitent de faire des raccourcis ou une lecture partielle, parfois des démonstrations frauduleuses. Au mieux, on le taxe d’imprudence, au pire on l’accuse de faire le jeu du camp du mal et des heures les plus sombres qui ne sont pas toutes derrière nous.

    Deux affaires récentes racontent le règlement de compte de deux gêneurs, Stephen Smith et Christophe Guilluy. Le premier a écrit un livre traitant de l’avenir des migrations subsahariennes qui a rencontré un gros succès - La ruée vers l’Europe : La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent. Le second vient de publier No Society, la fin de la classe moyenne occidentale, dont certains commentaires laissent à penser qu’il n’a pas été vraiment lu. C’est le cas lorsqu’on lui attribue l’expression « ancienne classe moyenne blanche » qui n’apparaît jamais dans son livre (Libération, 15 octobre 2018).

    Dans ces deux affaires, un procès en légitimité est fait aux auteurs qui, contrairement à ceux qui les ont pris en grippe, n’auraient pas les compétences nécessaires pour traiter les sujets qu’ils abordent.

    Deux solutions pour liquider professionnellement un gêneur : ou on y va seul, mais soutenu par des titres qui rendent la contestation quasiment impossible aux yeux du grand public ou des journalistes, ou, n’écoutant que son courage, on chasse en groupe et on se met à plusieurs pour revendiquer les compétences dont manquerait le fauteur de trouble.

    Le cas de Stephen Smith relève du premier cas. Le démolisseur, François Héran, est présenté, à tour de rôle ou en même temps, comme philosophe, anthropologue,  sociologue ou démographe, sans oublier ses titres académiques : directeur de l’Ined pendant 10 ans, fraîchement nommé professeur au Collège de France et directeur du tout récent Institut Convergences sur les migrations. Avec tout ça, il ne peut que parler d’or. C’est le syndrome Mister Chance. Si l’on y ajoute le fait que la première salve a été tirée dans une revue de réputation scientifique – Population & Sociétés, le quatre pages de l’Ined – l’effet médiatique est assuré. En effet, le plan de bataille a consisté à frapper fort sur le terrain scientifique, puis à finir le travail dans la presse ou sur internet. Le timing est impeccable. Et si l’accusé se rebelle, l’accusateur est à peu près sûr d’avoir le dernier mot ; un journal ne se risquerait pas à refuser ses pages à un aussi grand savant. Sans compter la reprise en boucle sur internet. Aucun décodeur donc pour voir si la réfutation, dénommée scientifique avec une certaine emphase par son auteur et ceux qui le répètent sans en connaître, tient la route. Pas même les décodeurs du Monde qui titra le 12 septembre 2018 sur la réponse des démographes, comme si un homme aussi prestigieux – « sociologue, anthropologue et démographe, meilleur spécialiste du sujet »- ne pouvait qu’entraîner l’ensemble de la profession derrière lui. Il faut dire, à la décharge du Monde, que la publication dans la supposée très sérieuse revue Population & sociétés de l’Ined peut le laisser croire.

    Le succès provient d’abord de la satisfaction idéologique procurée par la dénégation d’un risque de migrations massives en provenance de l’Afrique. Ouf ! On croit tenir là un argument scientifique à opposer aux prophètes de malheur. Une lecture attentive et critique est alors impossible, y compris par les chercheurs en sciences sociales qui en auraient les moyens et dont c’est la mission. C’est ainsi que la sociologue Dominique Méda répondit ceci à Guillaume Erner, l’animateur des Matins de France Culture, qui l’interrogeait lundi 15 octobre sur la nécessité d’un débat avec ceux qui pensent mal (il était question de Christophe Guilluy): « Je pense qu’il faut absolument débattre. Je pense à une autre controverse sur l’immigration, le fait qu’on va être submergés par l’Afrique subsaharienne [là, Guillaume Erner intervient pour préciser qu’il s’agit de Stephen Smith et de François Héran qui ont été tous deux reçus, séparément, dans l’émission]… C’est très bien, évidemment il faut donner autant… Les médias ont un rôle absolument central… dans cette question. Il faut donner autant de place à l’un qu’à l’autre… Et montrer… François Héran a fait une démonstration magistrale pour montrer la fausseté des thèses du premier. Donc il faut absolument débattre. »

    Cette déclaration de Dominique Méda est intéressante car elle dénote une conception du débat  particulière - débattre, oui, à condition d’être sûr d’écraser son adversaire – et un aveuglement sur les qualités scientifiques de la démonstration de François Héran, qu’elle qualifie de magistrale. Elle a donc privilégié sa satisfaction idéologique à l’interrogation scientifique qui aurait pu l’alerter sur le caractère frauduleux de la démonstration magistrale en question.

    J’ai la chance de porter un intérêt aux questions méthodologiques et d’avoir déjà exercé cet intérêt sur les écrits antérieurs de François Héran. Mais, comme on va le voir, la critique était à la portée d’un lecteur ordinaire. François Héran fait l’hypothèse, dans sa démonstration magistrale, qu’il existe un rapport fixe dans le temps entre la population résidant en Afrique subsaharienne et celle d’immigrés de cette origine résidant en Europe, et donc en France. Si la population subsaharienne double d’ici 2050, celle vivant en France doublerait aussi.

    La première question à se poser est : Est-ce que cette relation repose sur une observation antérieure ? Les instituts de statistiques, lorsqu’ils élaborent des projections, apportent un soin tout particulier à quantifier ce qui s’est passé avant le démarrage de la projection. Il serait, à cet égard, utile d’avoir l’avis de l’Insee qui réalise les projections de population pour la France sur la méthode de projection de François Héran.

    Que disent donc les observations rétrospectives de ce rapport supposé fixe par François Héran ? De 1982 à 2015, la population immigrée d’Afrique hors Maghreb a été multipliée par 5,1 en France, alors qu’elle ne l’a été (heureusement !) que par 2,4 en Afrique hors Maghreb. L’hypothèse à la base de la démonstration magistrale est donc fausse et conditionne entièrement la conclusion qu’en tire François Héran. Ce raisonnement était à la portée de tous, a fortiori des 7 membres du comité de rédaction de Population & Sociétés, dont le rédacteur en chef, Gilles Pison. Là aussi, la satisfaction idéologique et le fait que tous partagent la même idéologie ont prévalu sur l’esprit critique attendu d’un comité de rédaction. C’est même la partie de l’histoire qui m’attriste le plus : les relecteurs de la revue de vulgaristation de l’Ined, institut public de recherche scientifique, n’y ont vu que du feu. Je passe ici sur la morgue et le mépris affichés à l’égard de Stephen Smith dans d’autres publications. Cette exécution s’est faite au prix d’une simplification outrancière de son livre qui, rappelons-le, présente, en conclusion, cinq scénarios qui ne se réduisent pas à celui critiqué par François Héran dans lequel Stephen Smith se demande ce qui se passerait si l’Afrique subsaharienne rejoignait en trente ans un niveau de développement équivalent à celui du Mexique.

    Dans le cas de Christophe Guilluy, traité par le géographe Jacques Lévy invité le 9 octobre des Matins de Guillaume Erner sur France Culture, d’ « idéologue géographe du Rassemblement National », ce sont vingt-et-un géographes, historiens, sociologues, politistes…, membres de la rédaction de la revue Métropolitiques, qui se sont chargés de l’exécution pour la partie scientifique, quand Thibaut Sardier, journaliste à Libération se chargeait du reste consistant, pour l’essentiel, à trouver une cohérence à des potins glanés auprès de personnes ayant côtoyé Christophe Guilluy ou ayant un avis sur lui (Libération, 15 octobre 2018, p. 24-25).

    La tribune des vingt-et-un s’intitule « Inégalités territoriales : parlons-en ! » On est tenté d’ajouter : « oui, mais entre nous ! ». On se demande si les signataires ont lu le livre qu’ils attaquent, tant la critique sur le fond est générale et superficielle. Ils lui reprochent d’abord le succès de sa « France périphérique » qui a trouvé trop d’échos, à leur goût, dans la presse, mais aussi auprès des politiques, de gauche comme de droite. Pour le collectif de Métropolitiques, Christophe Guilluy est un démagogue et un prophète de malheur qui, lorsqu’il publie des cartes et des statistiques, use « d’oripeaux scientifiques » pour asséner des « arguments tronqués ou erronés », « fausses vérités » qui ont des « effets performatifs ». Christophe Guilluy aurait donc fait naître ce qu’il décrit, alimentant ainsi « des visions anxiogènes de la France ». Ce collectif se plaint de l’écho donné par la presse aux livres de Christophe Guilluy qui soutient des « théories nocives », alors que ses membres si vertueux, si modestes, si rigoureux et si honnêtes intellectuellement sont si peu entendus et que « le temps presse ». Le même collectif aurait, d’après Thibaut Sardier, déclaré que l’heure n’était plus aux attaques ad hominem ! On croit rêver.

    Thibaut Sardier, pour la rubrique « Potins », présente Christophe Guilluy comme un « consultant et essayiste […], géographe de formation [qui] a la réputation de refuser les débats avec des universitaires ou les interviews dans certains journaux, comme Libé ». L’expression « géographe de formation »  revient dans le texte pour indiquer au lecteur qu’il aurait tort de considérer Christophe Guilluy comme un professionnel de la géographie au même titre que ceux qui figurent dans le collectif, qualifiés de chercheurs, ou que Jacques Lévy. Je cite : « le texte de Métropolitiques fait écho aux relations houleuses entre l’essayiste, géographe de formation, et les chercheurs ». Si l’on en croit Thibaut Sardier, Christophe Guilluy aurait le temps d’avoir des relations avec LES chercheurs en général. Le même Thibaut Sardier donne à Jacques Lévy, le vrai géographe, l’occasion de préciser sa pensée : « Je ne veux pas dire qu’il serait mandaté par le RN. Mais sa vision de la France et de la société correspond à celle de l’électorat du parti ». Le journaliste a tendance à lui donner raison, la preuve : « la place qu’il accorde à la question identitaire et aux travaux de Michèle Tribalat, cités à droite pour défendre l’idée d’un “grand remplacement” plaide en ce sens ». Thibaut Sardier se fiche pas mal de ce que j’ai pu effectivement écrire – il n’a probablement jamais lu aucun de mes articles ou de mes livres – tout en incitant incidemment le lecteur à l’imiter, compte tenu du danger qu’il encourrait s’il le faisait. Ce qui compte, c’est que je sois lue et citée par les mauvaises personnes. Ne pas croire non plus à l’affiliation à gauche de Christophe Guilluy. Le vrai géographe en témoigne : « on ne peut être progressiste si on ne reconnaît pas le fait urbain et la disparition des sociétés rurales. » Voilà donc des propos contestant l’identité politique que Christophe Guilluy pourrait se donner pour lui en attribuer une autre, de leur choix, et qui justifie son excommunication, à une époque où il est devenu pourtant problématique d’appeler Monsieur une personne portant une moustache et ayant l’air d’être un homme (émission Arrêt sur images du 29 juin 2018) !

    Et l’on reproche à Christophe Guilluy de ne pas vouloir débattre avec ceux qui l’écrasent de leur mépris, dans un article titré, c’est un comble, « Peut-on débattre avec Christophe Guilluy ? » Mais débattre suppose que l’on considère celui auquel on va parler comme son égal et non comme une sorte d’indigent intellectuel que l’on est obligé de prendre en compte, de mauvais gré, simplement parce que ses idées ont du succès et qu’il faut bien combattre les théories nocives qu’il développe.

    Michèle Tribalat (Site personnel, octobre 2018)

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  • La fin de la classe moyenne occidentale...

    Les éditions Flammarion viennent de publier un essai de Christophe Guilluy intitulé No society - La fin de la classe moyenne occidentale. Géographe, Christophe Guilluy est l'auteur de trois essais importants et très commentés, Fractures françaises (Flammarion, 2010), La France périphérique (Flammarion, 2014) et Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016).

     

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    " «There is no society» : la société, ça n’existe pas. C’est en octobre 1987 que Margaret Thatcher prononce ces mots. Depuis, son message a été entendu par l’ensemble des classes dominantes occidentales. Il a pour conséquence la grande sécession du monde d’en haut qui, en abandonnant le bien commun, plonge les pays occidentaux dans le chaos de la société relative. La rupture du lien, y compris conflictuel, entre le haut et le bas, nous fait basculer dans l’a-société. Désormais, no more society. La crise de la représentation politique, l’atomisation des mouvements sociaux, la citadellisation des bourgeoisies, le marronnage des classes populaires et la communautarisation sont autant de signes de l’épuisement d’un modèle qui ne fait plus société. La vague populiste qui traverse le monde occidental n’est que la partie visible d’un soft power des classes populaires qui contraindra le monde d’en haut à rejoindre le mouvement réel de la société ou bien à disparaître. "

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  • "La disparition de la classe moyenne occidentale est l’enjeu fondamental du XXIe siècle"...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Christophe Guilluy au Figaro Vox dans lequel il donne son analyse, toujours stimulante, de l'actualité de ces dernières semaines... Géographe, Christophe Guilluy est l'auteur de trois essais importants, Fractures françaises (Flammarion, 2010), La France périphérique (Flammarion, 2014) et Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016).

     

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    Johnny, la Corse et la France périphérique

    Le Figaro : Comment analysez-vous la victoire des nationalistes en Corse ?

    Christophe Guilluy : La Corse est un territoire assez emblématique de la France périphérique. Son organisation économique est caractéristique de cette France-là. Il n’y a pas de grande métropole mondialisée sur l’île, mais uniquement des villes moyennes ou petites et des zones rurales. Le dynamisme économique est donc très faible, mis à part dans le tourisme ou le BTP, qui sont des industries dépendantes de l’extérieur. Cela se traduit par une importante insécurité sociale : précarité, taux de pauvreté gigantesque, chômage des jeunes, surreprésentation des retraités modestes. L’insécurité culturelle est également très forte. Avant de tomber dans le préjugé qui voudrait que « les Corses soient racistes », il convient de dire qu’il s’agit d’une des régions (avec la PACA et après l’Ile-de-France) où le taux de population immigrée est le plus élevé. Il ne faut pas l’oublier.

    La sensibilité des Corses à la question identitaire est liée à leur histoire et leur culture, mais aussi à des fondamentaux démographiques. D’un côté, un hiver démographique, c’est-à-dire un taux de natalité des autochtones très bas, et, de l’autre, une poussée de l’immigration notamment maghrébine depuis trente ans conjuguée à une natalité plus forte des nouveaux arrivants. Cette instabilité démographique est le principal générateur de l’insécurité culturelle sur l’île. La question qui obsède les Corses aujourd’hui est la question qui hante toute la France périphérique et toutes les classes moyennes et populaires occidentales au XXIe siècle : « Vais-je devenir minoritaire dans mon île, mon village, mon quartier ? » C’est à la lumière de cette angoisse existentielle qu’il faut comprendre l’affaire du burkini sur la plage de Sisco, en juillet 2016, ou encore les tensions dans le quartier des Jardins de l’Empereur, à Ajaccio, en décembre 2015. C’est aussi à l’aune de cette interrogation qu’il faut évaluer le vote « populiste » lors de la présidentielle ou nationaliste aujourd’hui. En Corse, il y a encore une culture très forte et des solidarités profondes. À travers ce vote, les Corses disent : « Nous allons préserver ce que nous sommes. »

    Il faut ajouter à cela l’achat par les continentaux de résidences secondaires qui participe de l’insécurité économique en faisant augmenter les prix de l’immobilier. Cette question se pose dans de nombreuses zones touristiques en France : littoral atlantique ou méditerranéen, Bretagne, beaux villages du Sud-Est et même dans les DOM-TOM. En Martinique aussi, les jeunes locaux ont de plus en plus de difficultés à se loger à cause de l’arrivée des métropolitains. La question du « jeune prolo » qui ne peut plus vivre là où il est né est fondamentale. Tous les jeunes prolos qui sont nés hier dans les grandes métropoles ont dû se délocaliser. Ils sont les pots cassés du rouleau compresseur de la mondialisation. La violence du marché de l’immobilier est toujours traitée par le petit bout de la lorgnette comme une question comptable. C’est aussi une question existentielle ! En Corse, elle est exacerbée par le contexte insulaire. Cela explique que, lorsqu’ils proposent la corsisation des emplois, les nationalistes font carton plein chez les jeunes. C’est leur préférence nationale à eux.

    Qu’est-ce qui prime dans le ressort du vote  : l’insécurité sociale ou l’insécurité culturelle ?

    La condition de ce vote, comme de tous les votes populistes, est la réunion de l’insécurité sociale et culturelle. Les électeurs de Fillon, qui se sont majoritairement reportés sur Macron au second tour, étaient sensibles à la question de l’insécurité culturelle, mais étaient épargnés par l’insécurité sociale. À l’inverse, les électeurs de Mélenchon étaient sensibles à la question sociale, mais pas touchés par l’insécurité culturelle. C’est pourquoi le débat sur la ligne que doit tenir le FN, sociale ou identitaire, est stérile. De même, à droite, sur la ligne dite Buisson. L’insécurité culturelle de la bourgeoisie de droite, bien que très forte sur la question de l’islam et de l’immigration, ne débouchera jamais sur un vote « populiste » car cette bourgeoisie estime que sa meilleure protection reste son capital social et patrimonial et ne prendra pas le risque de l’entamer dans une aventure incertaine. Le ressort du vote populiste est double et mêlé. Il est à la fois social et identitaire. De ce point de vue, la Corse est un laboratoire. L’offre politique des nationalistes est pertinente car elle n’est pas seulement identitaire. Elle prend en compte la condition des plus modestes et leur propose des solutions pour rester au pays et y vivre. Au-delà de l’effacement du clivage droite/gauche et d’un rejet du clanisme historique, leur force vient du fait qu’ils représentent une élite et qu’ils prennent en charge cette double insécurité. Cette offre politique n’a jamais existé sur le continent car le FN n’a pas intégré une fraction de l’élite. C’est même tout le contraire. Ce parti n’est jamais parvenu à faire le lien entre l’électorat populaire et le monde intellectuel, médiatique ou économique. Une société, c’est une élite et un peuple, un monde d’en bas et un monde d’en haut, qui prend en charge le bien commun. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le vote nationaliste et/ou populiste arrive à un moment où la classe politique traditionnelle a déserté, aussi bien en Corse que sur le continent.

    L’erreur de la plupart des observateurs est de présenter Trump comme un outsider. Ce n’est pas vrai. S’il a pu gagner, c’est justement parce qu’il vient de l’élite. C’est un membre de la haute bourgeoisie new-yorkaise. Il fait partie du monde économique, médiatique et culturel depuis toujours, et il avait un pied dans le monde politique depuis des années. Il a gagné car il faisait le lien entre l’Amérique d’en haut et l’Amérique périphérique.

    Pour sortir de la crise, les sociétés occidentales auront besoin d’élites économiques et politiques qui voudront prendre en charge la double insécurité de ce qu’était hier la classe moyenne. C’est ce qui s’est passé en Angleterre après le Brexit, ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec Trump, ce qui se passe en Corse avec les nationalistes. Il y a aujourd’hui, partout dans le monde occidental, un problème de représentation politique. Les électeurs se servent des indépendantismes, comme de Trump ou du Brexit, pour dire autre chose. En Corse, le vote nationaliste ne dit pas l’envie d’être indépendant par rapport à la France. C’est une lecture beaucoup trop simpliste. Si, demain, il y a un référendum, les nationalistes le perdront nettement. D’ailleurs, c’est simple, ils ne le demandent pas.

    Le cas de la Corse est-il comparable à celui de la Catalogne ?

    Le point commun, c’est l’usure des vieux partis, un système représentatif qui ne l’est plus et l’implosion du clivage droite/gauche. Pour le reste, la Catalogne, c’est l’exact inverse de la Corse. Il ne s’agit pas de prendre en charge le bien commun d’une population fragilisée socialement, mais de renforcer des positions de classes et territoriales dans la mondialisation. La Catalogne n’est pas l’Espagne périphérique, mais tout au contraire une région métropole. Barcelone représente ainsi plus de la moitié de la région catalane. C’est une grande métropole qui absorbe l’essentiel de l’emploi, de l’économie et des richesses. Le vote indépendantiste est cette fois le résultat de la gentrification de toute la région. Les plus modestes sont peu à peu évincés d’un territoire qui s’organise autour d’une société totalement en prise avec les fondamentaux de la bourgeoisie mondialisée. Ce qui porte le nationalisme catalan, c’est l’idéologie libérale libertaire métropolitaine, avec son corollaire : le gauchisme culturel et l’« antifascisme » d’opérette. Dans la rhétorique nationaliste, Madrid est ainsi présentée comme une « capitale franquiste » tandis que Barcelone incarnerait l’« ouverture aux autres ». La jeunesse, moteur du nationalisme catalan, s’identifie à la gauche radicale. Le paradoxe, c’est que nous assistons en réalité à une sécession des riches, qui ont choisi de s’affranchir totalement des solidarités nationales, notamment envers les régions pauvres. C’est la « révolte des élites » de Christopher Lasch appliquée aux territoires. L’indépendance nationale est un prétexte à l’indépendance fiscale. L’indépendantisme, un faux nez pour renforcer une position économique dominante. Dans Le Crépuscule de la France d’en haut (*), j’ironisais sur les Rougon-Macquart déguisés en hipsters. Là, on pourrait parler de Rougon-Macquart déguisés en « natios ». Derrière les nationalistes, il y a les lib-lib.

    Le clivage nation/ville monde est-il celui de demain ?

    L’exemple de la Catalogne préfigure peut-être, en effet, un futur pas si lointain où le processus de métropolisation conduira à l’avènement de cités-Etats. En face, les défenseurs de la nation apparaîtront comme les défenseurs du bien commun. Aujourd’hui, la seule critique des hyperriches est une posture trop facile qui permet de ne pas voir ce que nous sommes devenus, nous : les intellectuels, les politiques, les journalistes, les acteurs économiques, et on pourrait y ajouter les cadres supérieurs. Nous avons abandonné le bien commun au profit de nos intérêts particuliers. Hormis quelques individus isolés, je ne vois pas quelle fraction du monde d’en haut au sens large aspire aujourd’hui à défendre l’intérêt général.

    Macron a souvent été présenté comme la quintessence de la France d’en haut. Peut-il, malgré tout, s’adresser à celle d’en bas ?

    Il est trop tôt pour le dire. Je ne suis pas dans le cerveau de Macron. Cela nécessiterait une profonde révolution intellectuelle de sa part. Notons simplement que, depuis son élection, il a su se montrer suffisamment transgressif pour ne pas tenir exactement les discours qu’on attendait de lui. Le point le plus intéressant, c’est qu’il s’est dégagé du clivage droite/gauche. La comparaison avec Trump n’est ainsi pas absurde. Tous les deux ont l’avantage d’être désinhibés. Mais il faut aussi tenir à l’esprit que, dans un monde globalisé dominé par la finance et les multinationales, le pouvoir du politique reste très limité. Je crois davantage aux petites révolutions culturelles qu’au grand soir. Trump va nous montrer que le grand retournement ne peut pas se produire du jour au lendemain mais peut se faire par petites touches, par transgressions successives. Trump a amené l’idée de contestation du libre-échange et mis sur la table la question du protectionnisme. Cela n’aura pas d’effets à court terme. Ce n’est pas grave car cela annonce peut-être une mutation à long terme, un changement de paradigme. La question est maintenant de savoir qui viendra après Trump. La disparition de la classe moyenne occidentale, c’est-à-dire de la société elle-même, est l’enjeu fondamental du XXIe siècle, le défi auquel devront répondre ses successeurs.

    Que révèle le phénomène Johnny ?

    On peut cependant rappeler le mépris de classe qui a entouré le personnage de Johnny, notamment via « Les Guignols de l’info ». Il ne faut pas oublier que ce chanteur, icône absolue de la culture populaire, a été dénigré pendant des décennies par l’intelligentsia, qui voyait en lui une espèce d’abruti, chantant pour des « déplorables », pour reprendre la formule de Hillary Clinton. L’engouement pour Johnny rappelle l’enthousiasme des bobos et de Canal+ pour le ballon rond au moment de la Coupe du monde 1998. Le foot est soudainement devenu hype. Jusque-là, il était vu par eux comme un sport d’ « ouvriers buveurs de bière ». On retrouve le même phénomène aux États-Unis avec le dénigrement de la figure du white trash ou du redneck. Malgré quarante ans d’éreintement de Johnny, les classes populaires ont continué à l’aimer. Le virage à 180 degrés de l’intelligentsia ces derniers jours n’est pas anodin. Il démontre qu’il existe un soft power des classes populaires. L’hommage presque contraint du monde d’en haut à ce chanteur révèle en creux l’importance d’un socle populaire encore majoritaire. C’est aussi un signe supplémentaire de l’effritement de l’hégémonie culturelle de la France d’en haut. Les classes populaires n’écoutent plus les leçons de morale. Pas plus en politique qu’en chanson.

    Christophe Guilluy, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 13 décembre 2017)

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  • Une France d'en haut structurée autour d'Emmanuel Macron pour protéger ses intérêts...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Christophe Guilluy à Atlantico, dans lequel il évoque les premiers mois de la présidence Macron à la lumière de ses analyses... Géographe, Christophe Guilluy est déjà l'auteur de trois essais importants, Fractures françaises (Flammarion, 2010), La France périphérique (Flammarion, 2014) et Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016).

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    Christophe Guilluy : "La France d'en haut s'est structurée autour d'Emmanuel Macron pour protéger ses intérêts, le monde d'en bas, lui, est complètement dispersé"

    Atlantico : À la rentrée 2016, vous publiiez "le crépuscule de la France d'en haut". Selon un sondage Viavoice publié par Libération en début de semaine, 53% des français jugent que la politique du gouvernement bénéficiera en premier lieu aux plus aisés, quand 60% d'entre eux craignent une précarisation. Un an après, quel constat portez-vous sur cette "France d'en haut" ? 

    Christophe Guilluy : Nous sommes dans la continuité d'une société qui se structure autour de la mondialisation depuis 20 ou 30 ans. Ce qui est validé ici, c'est une logique de temps long. Avec un monde d'en haut que j'ai décrit dans "la France périphérique" mais aussi dans la "Crépuscule de la France d'en haut". C'est un monde qui vit en vase clos, je parle de "citadellisation" des élites, des classes supérieures, et tout cela ne cesse de se creuse

    Il faut revenir au 2e tour de l'élection présidentielle. Ce que nous avons vu, c'est une structuration de l'électorat qui suit la dynamique économique et sociale de ces 30 dernières années. Le grand sujet caché depuis 30 ans, c'est la disparition de la classe moyenne au sens large, c’est-à-dire telle qu'elle l'était hier, celle qui regroupait la majorité des catégories sociales ; de l'ouvrier à l'employé en passant par le cadre. Les gens étaient intégrés économiquement, donc socialement, politiquement, et culturellement.

    Ce qui explose avec le modèle mondialisé, c'est la classe moyenne occidentale. On va retrouver ces gens dans les territoires qui ne comptent peu ou pas ; France périphérique, Amérique périphérique, Grande Bretagne Périphérique etc…Inversement, des gens qui vont être de plus en plus concentrés dans les endroits ou "ça" se passe ; les grandes métropoles mondialisées. C'est ce qu'on a vu avec la carte électorale, qui était assez claire : les bastions d'Emmanuel Macron sont ces grandes métropoles mondialisées qui reposent sur une sociologie d'un front DES bourgeoisies.

    Ce qui est frappant, c'est en regardant Paris. La bourgeoisie de droite n'a qu'un vernis identitaire, car même les bastions de la "manif pour tous" ont voté pour Emmanuel Macron qui est pourtant pour les réformes sociétales à laquelle elle s'oppose. Dans le même temps, les électeurs parisiens de Jean Luc Mélenchon, au 1er tour, ont aussi voté Macron au second tour. Ils n'ont pas voté blanc. Cela veut dire que le monde d'en haut est de plus en plus dans une position de domination de classe qui est en rupture avec la France d'en bas. C'est la grande nouveauté. Parce qu'un société ne marche que si le haut parle au bas. C'était le parti communiste; constitué d'une frange d'intellectuels qui parlaient aux classes ouvrières. Aujourd'hui le monde d'en haut ne prend plus du tout en charge le monde d'en bas, qui est pourtant potentiellement majoritaire. C'est un processus long, qui est celui de la sortie de la classe moyenne de toutes les catégories sociales. Cela a commencé avec les ouvriers, cela s'est poursuivi avec les employés, et cela commence à toucher les professions intermédiaires. Demain ce sera les retraités, il suffit de regarder ce qu'il se passe en Allemagne. La mondialisation produit les mêmes effets partout et les spécificités nationales s'effacent. Sur le fond, même si l'Allemagne s'en sort un peu mieux en vendant des machines-outils à la Chine, la précarisation touche largement l'Allemagne avec des retraités qui sont obligés d'empiler les petits boulots pour s'en sortir.

    Ce qui est derrière tout cela, c'est cette fin de la classe moyenne occidentale qui n'est plus intégrée au modèle économique mondialisé. À partir du moment où l'on fait travailler l'ouvrier chinois ou indien, il est bien évident que l'emploi de ces catégories-là allait en souffrir. Nous sommes à un moment ou les inégalités continuent à se creuser. Je le répète, le monde d'en haut ne prend plus en charge les aspirations du monde d'en bas, c'est une rupture historique. On parle beaucoup du divorce entre la gauche et les classes populaires, c'est très vrai, mais ce n'est pas mieux à droite.

    Selon un sondage IFOP de ce 20 septembre, 67% des Français jugent que les inégalités ont plutôt augmenté en France depuis 10 ans, un sentiment largement partagé en fonction des différentes catégories testées, à l'exception d'écarts notables pour les électeurs d'Emmanuel Macron (54% soit -13 points). Votre livre décrit une nouvelle bourgeoisie cachée par un masque de vertu. Alors que le Président a été critiqué pour ses déclarations relatives aux "fainéants et aux cyniques", n'assiste-t-on pas à une révélation ? 

    Aujourd'hui nous avons un monde d'en haut qui se serre les coudes, des bourgeoisies qui font front ensemble, qui élisent un Emmanuel Macron qui va être l'homme qui va poursuivre les grandes réformes économiques et sociétales de ces 30 dernières années. La seule différence entre Macron et Hollande ou Sarkozy, c'est que lui, il n'avance pas masqué. Il assume complètement. Il a compris qu'il ne s'agit plus d'une opposition gauche-droite, mais d'une opposition entre les tenants du modèle et ceux qui vont le contester. Les gens l'ont compris, et c'est de plus en plus marqué, électoralement et culturellement. Ce qui complique les choses, c'est qu'il n'y a plus de liens. Le monde politique et intellectuel n'est plus du tout en lien avec les classes populaires, et ils ne les prendront plus en charge. Les gens savent que les réformes vont les desservir et l'impopularité d'Emmanuel Macron va croître. Le crépuscule de la France d'en haut découle de cette absence de lien, parce qu'une société n'est pas socialement durable si les aspirations des plus modestes ne sont pas prises en compte.

    Mais la bourgeoisie d'aujourd'hui est plus intelligente que celle d''hier car elle a compris qu'il fallait rester dans le brouillage de classes, et officiellement le concept de classes n'existe pas. La nouvelle bourgeoisie n'assume pas sa position de classe. Elle est excellente dans la promotion de la société ou de la ville ouverte, alors que ce sont les gens qui sont le plus dans les stratégies d'évitement, de renforcement de position de classe, mais avec un discours d'ouverture. Et quand le peuple conteste ce modèle, on l'ostracise. C'est pour cela que je dis que l'antifascisme est devenu une arme de classe, car cette arme n'est utilisée que par la bourgeoisie. Ce n'est pas un hasard si les antifascistes dans les manifestations sont des enfants de la bourgeoisie. Et tout cela dit un mépris de classe. Parce que personne ne va être pour le racisme et pour le fascisme. En réalité, derrière tout cela, il s'agit d'ostraciser le peuple lui-même, les classes populaires. C'est aussi une façon de délégitimer leur diagnostic, parce qu'en réalité, le "populisme", c'est le diagnostic des gens d'en bas, et la bourgeoisie s'en démarque en se voyant en défenseur de la démocratie. Et si Jean Luc Mélenchon monte trop haut, on utilisera ces méthodes-là.

    Vous êtes géographe. Quel verdict dressez-vous des différentes mesures prises par le gouvernement, et comment s'articulent-t-elles autour de votre constat d'une France périphérique ?

    On a un processus de plus en plus fort, avec la dynamique économique, foncière, territoriale. Le gouvernement ne fait que suivre les orientations précédentes, les mêmes depuis 30 ans. On considère que la classe moyenne n'a plus sa place, qu'elle est trop payée quand elle travaille et qu'elle est trop protégée par un État providence qui coûte trop cher si on veut être "compétitif"'. La loi travail n'est que la suite d'une longue succession de mesures qui ne visent qu'à dépouiller une classe moyenne qui ne sert plus à rien.

    Il y a aussi un jeu pervers avec l'immigration puisqu'on va concentrer les budgets sur les plus démunis qui vont souvent être les immigrés, ce qui va permettre d’entraîner un ressentiment très fort dans les milieux populaires qui se dira qu'il ne sert qu'aux immigrés, ce qui aboutira à dire "supprimons l'État providence". Il y a une logique implacable là-dedans. Parce qu'aussi bien ce monde d'en haut a pu se structurer autour d'Emmanuel Macron pour protéger ses intérêts, le monde d'en bas est complètement dispersé.

    Christophe Guilluy (Atlantico, 23 septembre 2017)

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  • La France périphérique va-t-elle exploser ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Christophe Guilluy à Natacha Polony pour son émission Polonium sur Paris Première, dans lequel il évoque les résultats des élections présidentielles et la question de la France périphérique broyée par la mondialisation. Géographe, Christophe Guilluy est déjà l'auteur de trois essais importants, Fractures françaises (Flammarion, 2010), La France périphérique (Flammarion, 2014) et Le crépuscule de la France d'en haut (Flammarion, 2016).

     

                               

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  • Vers la grande confusion...

    Nous reproduisons ci-dessous l'entretien donné par Alain de Benoist à Breizh info à propos des résultats du premier tour de l'élection présidentielle. Philosophe et essayiste, éditorialiste du magazine Éléments, Alain de Benoist dirige les revues Nouvelle Ecole et Krisis et anime l'émission Les idées à l'endroit sur TV Libertés. Il a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017) ainsi qu'un recueil d'articles intitulé Ce que penser veut dire (Rocher, 2017).

     

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    Alain de Benoist : « Emmanuel Macron est une petite chose caractérielle, manipulable et incapable de décision »

    Breizh-info.com : Quels enseignements tirez-vous du premier tour de l’élection présidentielle ? En quoi diffère-t-elle de toutes celles qui l’ont précédée ?

    Alain de Benoist : Le fait capital de cette élection, celui qui lui confère un véritable caractère historique, ce n’est ni le phénomène Macron ni la présence de Marine Le Pen au second tour. C’est la déroute totale des deux ancien grands partis de gouvernement, le PS et Les Républicains. Je l’avais laissé prévoir ici même en février dernier, à un moment où personne ne semblait s’en aviser : pour la première fois depuis que le chef de l’État est élu au suffrage universel, aucun des deux partis qui depuis près d’un demi-siècle ont gouverné la France en alternance ne sera présent au second tour.

    Dans le passé, ces deux partis n’avaient jamais représenté à eux deux moins de 45 % des suffrages (57 % en 2007, 55,8 % en 2012). Aujourd’hui, ils en représentent ensemble à peine un quart (Fillon 19 %, Hamon 6 %), moins que Sarkozy en 2007 ou Hollande en 2012. Tous deux se retrouvent à l’état de champs de ruines et au bord de l’implosion. Leur décomposition marque la fin de la Ve République telle que nous l’avons connue. Ce sont eux les grands perdants du scrutin.

    Ce coup de tonnerre sans précédent ne doit pourtant pas surprendre, car il est parfaitement conforme au schéma populiste. Dans tous les pays où le populisme marque des points, ce sont les partis représentant l’ancienne classe dirigeante qui en pâtissent le plus. On a vu cela en Grèce, en Espagne, en Autriche et ailleurs. Maintenant, c’est l’heure de la France. Et ce n’est sans doute qu’un début, puisque nous allons sans doute nous diriger maintenant vers une période d’instabilité, de crise institutionnelle et de grande confusion.

    Breizh-info.com : Est-ce la fin du système traditionnel droite-gauche que l’on a connu depuis des décennies ?

    Alain de Benoist : Les anciens partis de gouvernement étaient aussi ceux qui portaient le traditionnel clivage droite-gauche. Le curseur se déplaçait alors sur un plan horizontal, ce qui a lassé des électeurs qui de surcroît ne voient plus très bien ce qui distingue la droite de la gauche. Macron et Marine Le Pen ont en commun de surfer sur cette lassitude vis-à-vis du « Système ». Je répète ici ce que j’ai déjà écrit plusieurs fois : à l’ancien axe horizontal correspondant au clivage droite-gauche se substitue désormais un axe vertical opposant ceux d’en haut à ceux d’en bas. Le peuple contre les élites, les gens contre les puissants.

    On peut bien sûr vouloir conserver à tout prix le couple droite-gauche, mais alors il faut constater que les couches populaires sont de plus en plus à droite, tandis que la bourgeoisie est de plus en plus à gauche, ce qui constitue déjà une révolution.

    Breizh-info.com : Les résultats semblent également confirmer la fracture entre les métropoles et la « France périphérique », mais aussi entre la France qui compte le moins d’immigrés, qui vote Macron, et celle qui en compte le plus, qui vote Le Pen. Qu’en pensez-vous ?

    Alain de Benoist : Je pense en effet que le clivage Macron-Le Pen recouvre dans une très large mesure l’opposition entre la « France périphérique », celle des couches populaires humiliées, laissées pour compte, qui s’estiment à juste titre victimes d’une exclusion à la fois politique, sociale et culturelle, et celle des métropoles urbanisées où vivent les cadres supérieurs et les bobos, les classes possédantes et la bourgeoisie intellectuelle intégrée, qui profitent de la mondialisation et aspirent à toujours plus d’« ouverture ». D’un côté la France qui gagne bien sa vie, de l’autre celle qui souffre et qui s’inquiète.

    Mais cette opposition spatiale, particulièrement bien explorée par Christophe Guilluy, a aussi (et surtout) le sens d’une opposition de classe. Je partage à ce sujet l’opinion, non seulement de Guilluy, mais aussi de Mathieu Slama, selon qui « la lutte des classes ressurgit politiquement à la faveur d’un duel de second tour qui oppose le libéral Emmanuel Macron à la souverainiste Marine Le Pen ».

    « Derrière cette lutte des classes, ajoute Slama, se cache un affrontement entre deux visions du monde : la vision libérale et universaliste, qui ne croit ni en l’État ni en la nation, et la vision que l’on nomme aujourd’hui populiste ou encore souverainiste, qui veut restaurer l’État, les frontières et le sens de la communauté face aux ravages de la mondialisation ».

    L’erreur symétrique de la droite et de la gauche classiques a toujours été de croire que la politique pouvait s’extraire des enjeux de classe – la droite par allergie au socialisme et au marxisme, la gauche parce qu’elle croit que la classe ouvrière a disparu et que le peuple ne l’intéresse plus.

    Breizh-info.com : Que représente Macron ?

    Alain de Benoist : La morphopsychologie nous dit déjà qu’Emmanuel Macron est une petite chose caractérielle, manipulable et incapable de décision. Disons que c’est un algorithme, une image de synthèse, un milliardaire issu des télécoms, un joueur de flûte programmé pour mener par le bout du nez « selzésseux » qui ne voient pas plus loin que le bout de ce nez. C’est le candidat de la Caste, le candidat des dominants et des puissants. C’est un libéral-libertaire qui conçoit la France comme une « start up » et ne rêve que d’abolition des frontières et des limites, des histoires et des filiations. C’est l’homme de la mondialisation, l’homme des flux migratoires, l’homme de la précarité universelle. Le chef de file des « progressistes » par opposition à ceux qui ne croient plus au progrès parce qu’ils ont constaté que celui-ci n’améliore plus, mais au contraire assombrit leur ordinaire quotidien.

    Dans le passé, les milieux d’affaires soutenaient le candidat qu’ils estimaient le plus apte à défendre leurs intérêts (Alain Juppé en début de campagne). Cette fois-ci, ils ont jugé plus simple d’en présenter un eux-mêmes. Aude Lancelin n’a pas tort, à cet égard, de parler de « putsch du CAC 40 ».

    Breizh-info.com : L’échec de Jean-Luc Mélenchon ?

    Alain de Benoist : Échec tout relatif ! Orateur hors pair, tribun véritablement habité, Jean-Luc Mélenchon est celui qui, dans la forme et dans le fond, a fait la meilleure campagne électorale. En l’espace de quelques semaines, il a plus remonté dans les sondages qu’aucun autre candidat, écrabouillant au passage le Schtroumpf du PS, parvenant pratiquement au niveau de Fillon et doublant son score par rapport à 2012.

    Plus important encore, cette élection présidentielle lui a donné la possibilité d’incarner un populisme de gauche qui, avant lui, n’existait qu’à l’état d’ébauche. Vous aurez peut-être remarqué qu’il a commencé à monter dans les sondages à partir du moment où il n’a plus parlé de la « gauche » dans ses discours, mais seulement du « peuple ». C’est un détail révélateur. Ajoutons à cela que, contrairement à Hamon ou Duflot, il a eu le courage de ne pas appeler à voter en faveur de Macron. Personnellement, je regrette beaucoup qu’il ne soit pas au second tour.

    Breizh-info.com : Marine Le Pen a-t-elle encore des chances de l’emporter ? Quels doivent être les principaux axes de sa campagne ? Où se trouve son réservoir de voix ?

    Alain de Benoist : Ses chances au second tour sont a priori assez faibles, puisque tous les sondages la donnent pour battue. Ses principaux concurrents ont appelé à voter pour Emmanuel Macron, à commencer par François Fillon (ce qui ne manque pas de sel), mais il reste à savoir si leurs consignes seront suivies. Les reports de voix ne sont jamais automatiques. Outre les abstentionnistes, Marine Le Pen peut espérer recueillir au moins un tiers des voix de Fillon, plus de la moitié de celles de Dupont-Aignan, voire 10 ou 15 % des voix de Mélenchon, mais je doute que cela lui permette de remporter la victoire. Le score du second tour devrait s’établir à 60/40, ou à 55/45 dans le meilleur des cas.

    Cela dit, avec 21,4 % des voix (contre 17,9 % en 2012), Marine Le Pen marque sérieusement des points, non seulement parce qu’elle accède au second tour, mais aussi parce qu’elle rassemble près de huit millions de suffrages (le double de son père en 2002), contre seulement six millions aux dernières élections régionales. Le plus important est qu’elle surclasse le PS et Les Républicains, ce qui pose le FN en principale force d’opposition face à la future coalition « progressiste » de Macron.

    Disons néanmoins que sa campagne fut assez inégale. Pas assez de lyrisme, pas assez d’émotion : elle sait se faire applaudir, mais elle ne sait pas faire vibrer. Dans son clip de campagne, le peuple était d’ailleurs absent.

    Sa seule chance de gagner est de faire comprendre à la majorité des Français que le second tour ne sera pas un vote pour ou contre le Front national, mais un référendum pour ou contre la mondialisation. Il faudrait aussi qu’elle soit capable de convaincre en priorité les électeurs de gauche qu’il serait insensé de leur part d’apporter leur suffrage à l’homme de la casse sociale et de la loi El Khomri, de la dictature des actionnaires et de la toute-puissance des marchés financiers, au porte-parole du Capital pour qui la politique n’est qu’un instrument à mettre au service des intérêts privés.

    Breizh-info.com : Êtes-vous surpris de la faible mobilisation dans la rue contre Marine Le Pen, contrairement à ce que l’on avait vu en 2002 ?

    Alain de Benoist : Je n’en suis pas surpris du tout. L’élection de 2002 n’a aucun rapport avec celle que nous venons de vivre. Il n’y a que les diplodocus et les « antifas » pour ne pas comprendre que nous avons changé d’époque.

    Breizh-info.com : Une remarque finale ?

    Alain de Benoist : Si un scénariste avait écrit par avance l’histoire de cette campagne électorale telle qu’elle s’est effectivement déroulée, aucun réalisateur n’aurait jugé son scénario crédible. Elle a en effet déjoué tous les pronostics. François Hollande a rêvé pendant des années de solliciter un second mandat, mais il a finalement dû y renoncer. On le donnait pour un fin manœuvrier, mais il a perdu le contrôle de son propre parti. La droite considérait que cette élection était « imperdable », et pourtant elle l’a perdue. Les primaires étaient censées renforcer le pouvoir des partis et consacrer les mieux placés pour l’emporter (Sarkozy ou Juppé, Valls ou Montebourg), elle les a définitivement affaiblis et n’a sélectionné que des « outsiders » qui n’ont pas brillé.

    Quant au phénomène Macron, personne ne l’imaginait possible il y a encore un an. Cela montre qu’en politique, rien n’est jamais joué par avance. L’histoire est toujours ouverte.

    Alain de Benoist (Breizh info, 25 avril 2017)

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